Morts et non morts pour la France

 

Ne pas mourir pour la France: le sort que connurent H. Baudin, C. Boulin , R. Calmet , E. Delezay , A. Delseriès , H. Frixon , A. Lucas ,  A. Moulet , E. Stévenin, E. Vialon.

 

Voici dix hommes qui n’ont pas été tués au front directement par l’ennemi et dont les noms ne figurent pas sur le monument aux morts. Le bulletin de l’Amicale les a inscrits dans la liste des « Décès des suites de la guerre » : civils ou militaires, ils sont tous tombés malades au front ou à l’arrière, à cause de la guerre. Neuf d’entre eux sont des anciens élèves de Saint-Cloud, le dixième n’est autre que le concierge de l’établissement, mobilisé à l’âge de quarante-deux ans et seul à avoir été directement grièvement touché par le feu ennemi. Leurs parcours sont divers, ils furent soldats, mais aussi ouvrier et officier d’administration, chercheur au laboratoire de chimie de guerre, civils engagés aux côtés des populations assiégées, interprète... Autant de trajectoires plus silencieuses, plus torturées aussi pour certaines, n’ayant pas l’éclat que pouvaient revêtir celles de leurs camarades tombés au combat.     
Pourtant, une place leur est faite dans le Livre d’Or, peut-être pour leur rendre l’hommage que ne leur rendait pas le monument. Car après tout, c’est bien la guerre qui a tué ces hommes, en les épuisant physiquement et/ou nerveusement, et la lutte s’est achevée pour eux à l’écart du champ de bataille, sans que leur mérite ne soit à remettre en cause. De fait, leur mort reflète l’envers de ces médailles attribuées aux « tués à l’ennemi », parfois de manière posthume : c’est la mort de ceux qui terminent dans les hôpitaux pour malades, ou sont emportés après le conflit une fois l’armistice signée, à retardement si l’on ose dire. 

 

Nous avons donc décidé de les intégrer dans notre projet, ce qui se justifie en particulier par leur présence au sein du Livre d’Or. Leur absence sur le monument soulève cependant des interrogations, et nous a amené à questionner l’attribution de la mention « Mort pour la France», qui semblait déterminer l’inscription des noms en lettres d’or sur la plaque commémorative.             
 La mention « Mort pour la France » est déterminée par les lois des 2 juillet 1915 (publié au JO du 9/07/1915) et 28 février 1922 (publié au JO du 1/03/1922). Ces lois spécifient le cadre d’attribution de cette mention, qui est portée au regard de l’acte de décès et ouvre des droits pour sa famille et pour sa dépouille comme le rappelle l’Office national des anciens combattants.

 


Loi du 2 juillet 1915

 

Loi du 28 février 1922

 

"La preuve, qui s'oppose à la présomption, doit être rapportée que la cause du décès est la conséquence directe d'un fait de guerre." En ce sens, l’attribution de la mention pourrait donc n’être strictement réservée qu’aux « tués à l’ennemi ».     
Mais une seconde définition ouvre la voie à un élargissement : "Cette mention a été instituée par la loi du 2 juillet 1915 et modifiée par la loi du 22 février 1922 au lendemain de la Première Guerre mondiale. Les textes qui ont étendu ultérieurement le droit sont codifiés dans l'article L. 488 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre qui stipule que « doit, sur avis favorable de l'autorité ministérielle, porter la mention « mort pour la France », tout acte de décès d'un militaire ou civil tué à l'ennemi ou mort dans des circonstances se rapportant à la guerre ».         
Le titre n’est donc pas réservé aux militaires et les « circonstances se rapportant à la guerre » tendraient à se rapprocher de ce qui est présenté dans le bulletin de l’Amicale comme la liste des « décès des suites de la guerre ». D’où peut-être le fait que trois de ces dix hommes figurent sur la base de données de Mémoire des Hommes : deux mobilisés, Raoul Calmet et Allain Lucas, et un civil, Henri Frixon. On peut donc légitimement se poser la question de savoir si la mention pourrait être accordée aux sept restants, sans toutefois pouvoir donner de réponse tranchée.      
L’Office national précise également la procédure d’attribution, qui aurait vraisemblablement pu concerner ces hommes : "L'initiative de la demande appartient à l'autorité militaire ou administrative, mais aussi à la famille du défunt, voire à toute personne physique ou morale ayant un motif d'agir au sens juridique du terme. Il n'existe pas de forclusion pour les demandes. En ce qui concerne l'instruction de la demande, seule l'autorité militaire ou administrative est habilitée à accorder ou refuser la mention".         
   

 

(Benjamin Pajot)