Présentation du projet de recherche
Par les étudiants
Tout a commencé devant cette plaque commémorative. Dressée après la Grande Guerre, d’abord dans l’École normale supérieure de Saint-Cloud, puis déplacée en 2000 à Lyon, elle est notre source première, détaillant les noms et prénoms des 101 normaliens déclarés « Morts pour la France » pendant la Première Guerre mondiale.
Photographie du monument présentée dans 1914-1918 : Livre d'or de l'Ecole Normale Supérieure d'enseignement primaire de Saint-Cloud Cérémonie d'inauguration du monument élevé à la mémoire des élèves de Saint-Cloud morts à l'ennemi 1er Novembre 1926, Nancy : Berger-Levrault, 1921.
Autour des ces noms, il s’agissait de nous initier à la recherche historique pour la première fois de notre parcours universitaire. Le projet demandait donc de nous à la fois un esprit d’initiative, puisque nous étions totalement libres de l’orientation que prendrait notre production, mais aussi une réflexion à la fois sur le but de notre recherche - que voulions-nous dire ? - et le public à qui nous nous adressions, en sachant que le support internet avait été défini dès le départ comme le support principal de diffusion. C’est avec ces données en tête, et encadrés par nos professeurs, que nous nous sommes lancés dans nos recherches.
Après quelques semaines à dépouiller les sources que nous connaissions déjà, comme les registres d’état-civil, et d’autres qui nous furent suggérées par nos professeurs, comme les registres matricules, nous pouvions avoir un aperçu assez clair du type d’informations que nous serions en mesure de récolter. Nous découvrions en même temps les lacunes des sources, leurs non-dits, et leurs omissions, et nous apprenions à les lire en historiens, c’est-à-dire à distance, en gardant en tête le but dans lequel elles étaient écrites, et la valeur qu’elles donnaient aux différentes informations qu’elles fournissaient. Ce recul nous permettait également de réfléchir à notre passage à l’écrit, tant sur le plan du niveau de spécialisation à employer, que sur la manière d’équilibrer le propos entre les informations tirées des documents et nos propres conclusions.
Un autre aspect qu’il nous fallait prendre en compte était le contexte de publication. L’année 2014 marque le début des célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale, qui va logiquement revenir comme un sujet récurrent dans les rayonnages des librairies et dans l’espace public plus généralement. En effet, ce centenaire est l'occasion d'un retour historiographique sur la Grande Guerre et d'un travail de transmission de la recherche au grand public. Il nous paraissait important de nous joindre à ce mouvement, à l’échelle de nos 101 normaliens, et de proposer une histoire de ces destins individuels, autant que de leur parcours collectif.
Ces considérations nous amenèrent à penser un travail en deux axes :
- Une partie proprement patrimoniale, qui nous amènerait à réunir les informations brutes dont nous disposions pour chacun des 101 poilus, et de les restituer sous la forme d’une fiche individuelle, qui serait la base première de nos travaux, rendue accessible à tous.
- Le second axe partirait des résultats du premier. Il constituerait la partie dédiée aux résultats de nos recherches, mais également aux moyens qui nous ont permis d’y parvenir. Nous pourrions dans cette partie développer la manière dont nous avons questionné les différentes sources auxquelles nous avons eu accès, ce que nous avons pu en tirer, et la manière dont elles ont répondu aux questions que nous nous posions au préalable.
Cette division a dû être raffinée au fur et à mesure de nos avancées, notamment en ce qui concerne la deuxième partie. Nous avons divisé notre groupe de 17 étudiants en trois, pour couvrir trois périodes de vie de nos normaliens et de leur mémoire, qui recoupaient trois problématiques différentes posées par notre population.
Le premier groupe s’est penché sur la vie des normaliens avant le début de la guerre, dans une perspective d’histoire sociale et d’histoire de l’éducation : son orientation initiale a été d’observer s’il y eut mobilité sociale entre la génération des parents et notre population, et si cette mobilité est due à l’entrée à l’ENS de Saint-Cloud.
Le deuxième a entrepris de suivre le parcours des normaliens pendant la guerre, et ce jusqu’à leur mort. Cela comprenait deux parties distinctes, celle du service militaire, pour la plupart des cas antérieure à 1914, puis la période des combats. Les interrogations principales furent de savoir s’il existait un statut-type du normalien au sein de l’armée, en terme de position dans la hiérarchie, de rythme de l’avancement, tout cela avec l’idée de savoir si l’on retrouverait la même position sociale mise en avant par le premier groupe, c’est-à-dire une position intermédiaire entre les intellectuels des grandes écoles (étudiés par N. Mariot dans Tous unis dans la tranchée ), et les classes populaires.
Enfin, le dernier groupe s’est penché sur les problèmes de la mémoire en faisant l’archéologie de deux niveaux de commémoration : la commémoration nationale à travers la mention de « Mort pour la France », dont l’obtention répond à des critères très précis, et la commémoration institutionnelle, au sein de l’École, pour comprendre la place qu’occupait la mémoire dans la construction d’une éventuelle identité « cloutienne», et ce notamment par le biais de l’Amicale des Anciens Élèves, dont nous avons également consulté les registres.
Ce site est donc l’aboutissement d’un travail d’un an qui nous a permis de nous confronter à de multiples types de sources, et aux nombreux problèmes qu’ils posent en terme de fiabilité et de manière de les aborder. Il s’agissait également d’un premier essai de recherche historique pour nous, et nos résultats permettent d’initier des pistes pour une connaissance un peu plus profonde de la génération de normaliens qui ont participé à la Grande Guerre, et de l’École et de ses élèves à cette époque. Nos résultats, parfois en-deçà des ambitions que nous avions projetées, faute de sources ou de moyens de les généraliser de manière précise, nous permettent d’esquisser certains traits intéressants de nos thématiques, sociales, militaires et mémorielles. Sur un plan plus personnel, ce projet nous a permis de découvrir les méthodes de la recherche historique, et les méthodes d’un mode de diffusion qui a ses propres codes et ses propres exigences, le support numérique.
Pierre-Adrien Ausset, Solène Baron, Diane Béduchaud, Léo-Paul Blaise, Emile Boutelier, Clément Carnielli, Thibault Chevalier, Mélanie Fabre, Léa Filiu, Hugo Fraslin, Louis Georges, Margaux Lavernhe, Marie Lécuyer, Benjamin Pajot, Jean Peytou, Pirathees Sivarajah, Robin Soyer.
Par les enseignants
Cette recherche collective a été proposée aux élèves de première année d’histoire qui entraient à l’ENS de Lyon en septembre 2013. Elle s’inscrivait dans un double objectif: former à la recherche et aux humanités numériques. Le monument aux morts de l’ENS de Lyon offrait une telle occasion, n’ayant jamais été l’objet de recherches historiques, et constituant une source idéale d’histoire sociale dans le contexte du centenaire du premier conflit mondial.
Nous avons choisi de laisser les élèves libres face au monument aux morts devant lequel a eu lieu la première séance de l’année. Nous étions là en appui, pour répondre à leurs questions, discuter de leurs hypothèses et leur proposer des pistes scientifiques et méthodologiques. Pour leur permettre une véritable recherche, en l’occurrence reconstituer la vie d’un groupe d’individus unis par deux dispositions communes (le fait d’avoir ou d’être élève de l’ENS de Saint-Cloud et d’être mort au combat lors de la Première Guerre mondiale), nous avions demandé à la Bibliothèque Diderot d’interdire l’accès au Livre d’or de l’ENS de Saint-Cloud, qui contenait les notices nécrologiques rédigés après la guerre à leur sujet. Ainsi, les élèves ont du explorer successivement différentes sources, en particulier sérielles, mais aussi rechercher des documents complémentaires.
Les données rassemblées, deux usages devaient en être fait : d’une part, des analyses et un traitement historique, que l’on retrouve sur ce site sous l’onglet "articles de synthèse" et dans un numéro du Bulletin de l’Association des Anciens des ENS de Lyon, Saint-Cloud et Fontenay daté de 2014 ; d’autre part un site web mettant à disposition les informations collectées et créant en quelque sorte un mémorial virtuel. La réalisation de ce dernier a été permise par l’implication de la direction des services informatiques de l’ENS, et en particulier Yvonnick Fesselier et Bertrand Guyonnet, que nous remercions pour leur disponibilité.
A l’issue de cette année de travail et de discussions, nous remercions les élèves pour leur implication et tout particulièrement Clément Carnielli, Léa Filiu, Léo-Paul Blaise, Thibault Chevalier, Hugo Fraslin et Benjamin Pajot qui ont été très engagés dans la réalisation de l’ensemble.
Solenn Huitric, Emmanuelle Picard et Jean-Luc Pinol