Analyse statistique des décès

Une fois mobilisés, les normaliens de Saint-Cloud ont une espérance de vie moyenne d’un peu moins de 14 mois.

Plus de 65 % d’entre eux meurent en 1914 ou 1915, les mois de guerre de l’année 1914 étant les plus meurtriers : environ un tiers des Normaliens meurt en moins de six mois à partir de la mobilisation d’août 1914. Ils ont alors en moyenne 27 ou 28 ans, et 7 à 8 Normaliens sur 10 sont dits « Tués à l’ennemi »[1].

 

 

Ces chiffres, si terribles soient-ils, ne reflètent pourtant pas une situation d’exposition plus particulière au danger, mais tendent plutôt à faire des normaliens des combattants comme les autres. On parvient au même constat que N. Mariot à propos de la mortalité des normaliens de la rue d’Ulm durant le conflit, à savoir que les promotions les plus jeunes ont été les plus meurtries par la guerre[2].

Les deux écoles se distinguent cependant, puisque si l’ENS de la rue d’Ulm semble avoir fonctionné entre 1914 et 1918, l’ENS de Saint-Cloud, elle, a fermé ses portes en septembre 1914 pour ne les rouvrir qu’à partir de 1919, en mêlant les survivants de la promotion 1914 et de nouveaux élèves recrutés en 1919. Ainsi pourrait-on expliquer le fait que, contrairement à la rue d’Ulm, Saint-Cloud n’ait pas développé de véritable stratégie de protection de ses élèves envoyés au front – grâce, par exemple, à des postes de soldat auxiliaire interprète pour les linguistes, ou bien dans des armes réputées moins meurtrières, comme l’artillerie. Si les changements de régiments sont assez fréquents et parfois multiples – ils concernent environ un tiers des normaliens combattants, un seul de ces transferts a en effet donné lieu à un changement d’arme pouvant être éventuellement interprété comme une stratégie d’évitement : Auguste Cottet (promotion 1904), alors sous-officier interprète d’anglais dans un bataillon portugais[3], passe du 22e régiment d’infanterie au 39e escadron du train des équipages fin juin 1917. On le voit, ceux que l’on aurait pu appeler, à l’époque, des « embusqués » restent l’exception, ce qui paraît également cohérent avec la prépondérance de l’infanterie, arme réputée la plus meurtrière.

 


[1] On peut néanmoins se poser la question de la pertinence de cette catégorie : un individu considéré comme « Tué à l’ennemi » peut avoir été tué dans un combat au corps à corps, par un obus ou l’un de ses éclats ou encore, comme nous l’avons relevé, avoir été fait prisonnier avant d’être déclaré « Tué à l’ennemi », sans que cela ait pu a priori être attesté. Les enjeux d’attribution de la mention « Mort pour la France » rendent ce point néanmoins délicat à traiter. 

[2] N. Mariot comptabilise des pertes de 50 % des effectifs pour les promotions 1910 – 1913, contre 13 % pour les promotions 1886 – 1903 et 26 % pour les promotions 1904 – 1909 (« Pourquoi les normaliens sont-ils morts en masse en 1914-1918 ? Une explication structurale », Pôle Sud, 2012/1 n° 36, p. 9-30.).

[3] Ce qui peut déjà être potentiellement interprété comme une stratégie de mise à l’écart du plus grand danger.

 

(Léa Filiu)