Trois figures normaliennes dans la guerre

Edmond Potet (promotion 1904) incarne ainsi à lui-seul l’excellence du parcours du normalien au sein de l’armée : il commence son service militaire en 1902, en sort caporal avec « certificat de bonne conduite accordé» », puis suit un avancement régulier, bien qu’un peu plus rapide dans la période de réserve que pendant la guerre, pour mourir en qualité d’officier supérieur (capitaine). En cumulant 8 grades acquis entre 1902 et 1918, il est le plus promu des 101 normaliens. Le parcours d’Edmond Potet refléterait donc le cas du normalien souhaitant se distinguer socialement du reste des soldats, à la fois par les diplômes et par les armes. La reconnaissance de sa valeur militaire, à travers les grades notamment, viendrait ainsi appuyer, voire légitimer, sa place d’intellectuel au sein de la société civile. La preuve de son patriotisme résiderait dès lors dans sa capacité à synthétiser l’excellence civile et l’excellence militaire en une seule identité.

A l’opposé de cette « aristocratie » des normaliens de Saint-Cloud dans la guerre, se trouve le soldat Maurice Frère (promotion 1910). Il ne commence à être promu qu’à partir de la mobilisation mais demande à être rétrogradé de caporal à soldat deuxième classe en novembre 1915. Il meurt pourtant sergent en mars 1918. Dans le cas de Maurice Frère, c’est bien plutôt la référence au peuple que la référence à l’élite qui prévaut en 1915. Le normalien réaffirme peut-être par là une forme d’appartenance à son milieu d’origine, sans doute modeste, ainsi qu’une forme de reconnaissance, par opposition à la figure de l’intellectuel, perçue comme trop éloigné du commun.

Dans l’entre-deux se trouve Albert Thierry (promotion 1900), notamment connu pour ses prises de positions politiques et intellectuelles en faveur de l’anarcho-syndicalisme. Une telle opinion aurait pu justifier une attitude d’opposition à l’institution militaire. Pourtant, il obtient lui aussi le « certificat de bonne conduite » au moment de son service. Les données concernant sont avancement militaire restent malheureusement lacunaires, mais il serait apparemment resté soldat de deuxième classe jusqu'à sa mort en mai 1915. Quoi qu’il en soit, l’obtention du certificat attesterait, par contraste avec son propre engagement individuel, une forme d’intériorisation de la norme morale et sexuelle imposée par la société, qui demande aux hommes, et plus encore aux fonctionnaires de l’Etat, de se soumettre au devoir de « l’impôt du sang » à travers le port d’armes. Dans le cas d’Albert Thierry, c’est donc peut-être plutôt l’image d’un « intellectuel du peuple » qui serait la plus adéquate pour décrire le personnage.

 

(Léa Filiu)